Ho

Le bourdonnement de la circulation derrière les stores ressemblait à celui d’un insecte en train de se noyer dans un verre d’eau.

Encore une soirée infecte. Les pales d’un rotoclim brassaient sans conviction un air lourd dans la pénombre du bureau.

Ho avait du mal à accommoder et regardait fixement le verre de whisky à côté de la bouteille à demi pleine. Ou était-ce déjà ? Au coin de la 4ème artère et de Solidtown ? Ho grimaça, son visage fatigué reflétant l’amertume d’un homme dans la quarantaine, qui semblait revenu de tout.

Crissement de pneus, bruit du métal tordu en une gigantesque parodie d’une holopub pour outils de travail suborbital. Klaxon en surchauffe qui stoppe au bout de plusieurs minutes. Putain de ville. Il sentait jusque dans ses tripes les remugles de ce gigantesque égout urbain dont la merde était soigneusement dissimulée par les services gouvernementaux, si ce n’était les puissantes corpo qui abrutissaient la masse collective sous les jeux débiles et l’avenir d’une promesse techno, injecté sous débit hyperfréquencé par l’Infosphère. Mieux qu’une drogue de synthèse dans le cortex en fait. Pas de dégâts organiques mais la bonne vieille accoutumance politiquement correcte.

Ho tendit la main et porta le verre à ses lèvres. Il avala rapidement le contenu puis se mit à caresser l’idée qu’il pourrait être ivre mort d’ici une heure ou deux, en s’y prenant correctement. Le liquide lui réchauffait l’œsophage et tout son système interne, et un vague réconfort le parcourut.

La nuit s’avança et les gigantesques panneaux numériques portés sous les dirigeables de poche commencèrent à illuminer avec des bleus et oranges agressifs les différentes hab de la ville. Derrière les persiennes, le visage de Ho semblait être un écran numérique parcouru par les Xinshu silencieux.

Il se versa un deuxième verre. Un signal-témoin venait d’apparaître sur la machine, coincée entre un ridicule porte manteau archaïque et une colonne de casiers à classeur dont les étiquettes jaunies étaient devenues illisibles. Ho jeta un œil lointain. C’était de la bonne, peut être même distillée par des Calédoniens. Pas comme cette saleté de saké. Putains de Jap.

Ho ferma les yeux alors que le liquide déversait un nouveau torrent de feu.

« - on va leur foutre la branlée du siècle putain mec ! Yahouuuu ! ! !

Hurlement des statoréacteurs, rafales glacées vibrantes comme des lames de rasoir alors que le visage réjouit de Jing se colle à lui, son casque câblé heurtant le sien, et qu’il lui postillonne sur sa visière à affichage de tête. Jing était chargé comme une vache à la béthatémine comme l’indiquait ses pupilles en dilatation black dhalia, ce con avait du s’injecter la triple dose nécessaire.

L’affichage rouge au dessus de la porte ouverte de l’appareil indiquait 85 000.

Jing gueulait comme un porc mais Ho avait coupé la com.

Ridemno était là quelque part sous les blocs de nuages ressemblant à du béton vaporisé et Ho regretta de ne pas avoir suivi l’exemple de Jing finalement. C’était un coup à se retrouver dispersé en millions de cristaux de glace.

Jing avait sauté mais l’image suivante semblait être comme une mire hachée de parasites blancs.

Ho cligna des yeux, la bouche sèche. Encore ce flash. Les neuropsy lui avaient dit que cela s’atténuerait mais ces connards de toubibs auraient mieux fait d’aller se branler dans les holoporn de chez Mama Huan plutôt que de parasiter le système comme la vermine qu’ils étaient.

La bouteille était vide et Ho n’en avait pas encore fini avec la nuit. L’alcool coulait dans ses veines éveillant une sorte de rage qui lui donnait envie de cogner quelqu’un.

Après tout qu’est-ce qu’il en avait à foutre ? Un job était un job et son compte était dans le rouge et au-delà du rouge même.

Il fit glisser d’une touche l’appel en attente. Une jeune femme, qui en d’autres circonstances aurait été agréable à regarder, n’eut été son visage renfrogné, sembla se détourner d’une scène qu’elle observait au sol d’une rue éclairée par un labyrinthe de néons criards. Ce qui ne voulait pas dire qu’on y voyait forcément mieux au niveau du trottoir.

- Qu’est-ce que vous foutez Ho ? Les contrats pour les SMP/SEP ne courent pas les rues au kilomètre que je sache ?

Le lieutenant Minh Staniak, de la police pour les Crimes Physiques et Numériques de Néo-Jingcheng était une peau de vache, de l’avis des concurrents de Ho. Il l’avait croisé sur cette sale affaire de snuff-movie, au large des côtes de la mer de Jade, sur un yacht dernier cri d’un richissime industriel nanocorp. Elle ne lui avait pas caché son mépris à l’époque. Putain de flic.

-quelle est la cote lieutenant ?

Staniak semblait plus angoissée qu’énervée et elle cracha rapidement : « C40 peut être B 50 »

Fichtre. L’état de Staniak et la cote semblaient indiquer un enjeu plus élevé qu’un vol de Cube ou encore un raid sur une corpo des Triades et de leurs tueurs dotés de neurachem et armes lourdes à haute vélocité.

La lumière extérieure morcelée filtra rapidement dans la pièce et glissa sur la bouteille vide puis disparut comme un éphémère.

Ho écouta la pulsation étouffée de la ville à l’extérieur, le rythme désynchro d’un organisme malade.

- Je prends.