Ho chapitre 2

Silence…
« Staniak… Staniak ? Lieutenant ? »
« J’ai entendu Ho, mais les grandes douleurs sont muettes. Pardonnez-moi si je n’explose pas de joie à la perspective de retravailler avec vous. Magnez-vous le train, je vous attends sur la scène de crime, vous prendrez le temps de dessoûler plus tard. »

Connasse.

Elle avait raison, évidemment, il fallait examiner le corps avant que les rats ne l’emportent, pièce par pièce. Ho prit le temps de se rafraîchir le visage avant de se servir une dernière rasade et de quitter son bureau.

Ho jeta un coup d'œil sur l'indicateur d'acidité. Cent trente. Bon..., juste de quoi défoncer le maquillage d'une lap-geisha. On avait vu pire. En 69, les clodos qui dormaient dehors avaient choppé une nouvelle chtouille qui donnait à leur peau un aspect et une consistance proche du béton. C'était d'ailleurs assez moche quand ça arrivait au stade terminal. Tout ça à cause de ce que transportait la pisse qui tombait régulièrement sur la cité.
Bref.
Le détective quitta son bureau-appartement. Pluie acide ou non, il fallait renflouer le navire.

Il passa devant la guérite du concierge. Ce dernier jouait au mah-jong avec deux de ses amis. Ils s'invectivaient bruyamment en abattant leurs plaques et en s'échangeant des liasses de yuans. L'atmosphère de la loge était saturée d'une fumée épaisse, presque grasse, à l'odeur écœurante. Ho savait que le concierge se bricolait lui-même ses propres mélanges, à base d'opium et de chanvre. A se demander où il pouvait bien trouver ces ingrédients. Sûrement son grand-oncle, l'herboriste.

Le concierge aperçut Ho et se leva péniblement de son fauteuil à demi-défoncé, comme lui.
"Bonsoir monsieur Ho, lui dit-il d'une voix enrouée. M'en veuillez pas de demander, mais j'ai pas reçu l'argent de votre loyer de ce mois."

Il avait la pupille dilatée. Il n'insisterait pas pour prolonger la conversation, c'était déjà ça.
-On y travaille, monsieur Guang", répondit Ho en pressant le bouton d'ouverture de la porte de l'immeuble, qui glissa péniblement dans un mélange de sifflement et de grincement métallique.

Tout en rajustant son chapeau à large bord, Ho sortit dans la rue et pénétra sous l'averse. La pluie huileuse claquait sur son trois-quarts en néomex. Un petit cadeau d'un "copain" yakusa, illégal mais ô combien pratique. Ca pouvait arrêter les balles de petits calibres et les coups de lames conventionnelles. Enfin...rien qui n'ait été aiguisé au jet haute pression, quoi. Et puis c'était classe.

Le trajet n’était pas long – de toute façon Ho avançait au radar, les yeux mi-clos pour éviter de se ramasser dans la rétine les affichages criards des néons publicitaires : clinique Huong pour les implants sensoriels, animaux de compagnie clonés à Pet Factory, boutiques de bone tattoo… L’industrie du corps marchait bien – bien mieux que celle du crime.

Ce n’était pas pire qu’ailleurs mais Ho détestait toutes les villes après tout. Dans ces entrelacs urbains, l’effet de masse rendait les individus anonymes et ils avaient tout loisir pour laisser libre cours à leurs pires instincts.

Son passé de soldat lui avait appris la camaraderie et l’esprit de corps. Son expérience de privé lui aurait permis d’écrire une encyclopédie des saloperies que les gens réservent à de parfaits inconnus comme à leurs meilleurs amis.

Son Eminence le lieutenant Staniak accueillit Ho avec son fameux regard désapprobateur n°6. Qu’elle aille se faire foutre, pensa Ho avant de réaliser qu’il parlait à voix haute.

Staniak soupira :
- « Au programme ce soir, un homme, trentaine d’années, taille moyenne. Il est mort il y a moins de 3 heures, cause pour le moment inconnue. Pas de trace de lutte, pas de signe d’overdose. D’après son portefeuille, il se nomme Leto Klim. Citoyen ordinaire, cadre moyen à DatAccess, pas de casier. Son adresse enregistrée est un appart du côté de Serenade Resorts et il a une carte de fidélité chez Chen Escort. Bref, le yuppie moyen sans histoire qui fréquente les usines à viande légales ».
- Et ça vaut du C40 ça ?
- Si vous me laissiez finir Ho… Les vraies emmerdes ont commencé post mortem pour notre nouveau copain. »

Staniak se baissa et retourna délicatement le cadavre. Son pardessus et sa veste avaient été profondément entaillés, sa chemise arrachée, et sa peau découpée avec précision. La colonne vertébrale de la victime avait été entièrement prélevée. A la base du crâne, un trou, de la taille d’une balle de golf, prélude à une ponction cérébrale totale.

Le contour autour du point d’entrée était irrégulier – l’opération avait été brutale et rapide. Quick and dirty, pas vraiment un travail d’orfèvre. C’était un mystère de plus : une belle flopée de cliniques ayant pignon sur rue faisait du trafic d’organes sans vraiment se cacher. Quel intérêt y avait-il à faire cela à la sauvage, dans une ruelle crasseuse qui était propre aussi fréquemment que Ho était sobre ?

- « Je vous montre ses testicules ou bien vous avez compris le principe, Ho ? »

Pour une fois, Ho garda pour lui ses réparties hilarantes. Une belle pièce de boucherie, ça incite au respect.